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Sans queue ni tête
Culture

Sans queue ni tête : vraiment ?

By Matthieu Boisseau
29/09/2010

L'histoire :

 

L'un des clients d'Alice, une prostituée jouée par Isabelle Huppert est lasse de devoir assouvir les fantasmes les plus ahurissants de ses clients obsédés, est un psychanalyste dépressif ne supporte plus les soliloques insensés de ses patients déséquilibrés nommé Xavier, incarné par Bouli Lanners. Leur rencontre, loin des habituelles relations tarifées, se révèle être un bouleversement dans la vie de ces deux personnages en pleine crise existentielle, sans que l'on sache finalement qui a le plus besoin de l'autre.

 

Mon premier est audacieux. Imaginez une prostituée annoncer à l'un de ses clients, un psychanalyste récemment séparé de sa femme et en quête d'un plaisir monnayé : « On commencera par dix séances, selon un protocole que nous établirons ensemble. Si c'est vous qui l'interrompez, vous ne serez pas remboursé. Si vous manquez le rendez-vous, il vous sera facturé ». Une analogie entre ces deux professions pourtant diamétralement opposées, tel est le cynique tour de force opéré par Jeanne Labrune dans son nouveau film “Sans queue ni tête”. Pour ce faire, la réalisatrice de « Ca ira mieux demain » et « C'est le bouquet ! » emploie tous les moyens possibles et imaginables. Le film est ainsi rythmé par la succession de mises en scène illustrant le parallélisme des deux activités : on se lave les mains après une consultation comme après une passe, on prépare son lieu de travail avec la même minutie. L'objectif, à peine voilé, est que le spectateur en conclue que ce sont, à leur manière, deux “prestations de services” où des “clients” sont invités à “s'allonger” le temps d'une “séance” pour un “tarif” déterminé.

 

Mon deuxième est risqué. Imaginez un instant la glaciale – et très élégante – Isabelle Huppert en prostituée déguisée successivement en écolière puis en maîtresse sadomasochiste peroxydée. Le résultat est infiniment contrasté. Si on a là un parfait exemple de contre-emploi, l'actrice semble trop bourgeoise pour inspirer la compassion, et trop frigide pour incarner Alice. Pourtant, chacune de ses interventions demeure touchante : le désespoir qui se lit dans son regard et la pertinence de ses silences nous convainquent presque de sa capacité à jouer ce personnage. Mais, aussi bouleversante soit-elle par ses émotions, ce rôle ne lui convient pas vraiment. L'impression qu'elle est en décalage avec la prostituée qu'elle incarne persiste. Est-ce un effet de mise en scène assumé ? Le doute est permis puisque, alors qu'elle se regarde devant la glace, déguisée en étudiante d'à peine 20 ans, Isabelle Huppert s'exclame : "Ca commence à devenir limite... ». Une remarque qui s'adapte donc parfaitement à son interprétation d'Alice...

 

Mon troisième est raté. Imaginez deux professionnels tellement désabusés par leur métier qu'ils ne mentionnent plus leurs clients par leurs noms, mais par ce qu'ils sont susceptibles de leur rapporter financièrement. « C'est mon lustre », annonce fièrement la péripatéticienne adepte d'antiquités, tandis que le praticien amateur d'art confesse : « c'est un tableau de mon névrosé ». En réalité, le film est avant tout une critique en règle de la psychanalyse, qui est, à la manière de la prostitution, dépeinte comme une profession déshumanisée ayant pour unique but de soutirer de l'argent aux patients. Mais, si certains parallèles sont franchement drôles, l'ensemble du film manque de subtilité, et parfois même de profondeur. Le problème est que cette comparaison entre deux métiers prétendument si similaires se révèle parfois trop gratuite dès lors que le film ne dépasse pas le stade des présupposés. On regrettera ainsi les innombrables troubles obsessionnels convulsifs des thérapeutes, dont la fréquence est censée nous convaincre que les psychanalystes sont aussi fous que leur patients. En fait, Jeanne Labrune enchaîne les rapprochements de manière systématique sans jamais se donner le temps de la réflexion, et ne parvient pas à conférer au film la légèreté dont il aurait besoin pour nous séduire. A ce titre, le comique de mots manque terriblement d'ingéniosité. L'inévitable jeu de mot sur le terme « pipe » dès lors qu'une prostituée est mise en scène, ou la lourdeur des propos du déjanté sosie d'Elton John faisant rimer « pouah » et « poids », ne font pas vraiment rire. Pire encore, les interactions entre les deux protagonistes, et leur capacité à s'entraider, qui auraient dû constituer le cœur du film et de ses d'émotions, n'est que trop peu abordée. La présence d'un personnage tiers, même s'il est joué par l'excellent Richard Debuisne, empêche en effet tout contact direct entre la prostituée et le psychanalyste qui, finalement, passent leur temps à s'éviter. Un acte manqué qui fait perdre à l'histoire tout sa pertinence. Il engage même la fin du film sur une morale trop bien-pensante, à l'image de la rencontre entre Alice et un jeune névrosé, assez incohérente par rapport au début du scénario.

 

Mon tout tout est un film dont l'idée de base paraît excellente, mais qui finalement n'est pas aboutie. Alors que le second degré semblait être de rigueur pour établir un parallèle entre prostitution et psychanalyse, on a la désagréable impression que Jeanne Labrunne, trop persuadée de la pertinence de son rapprochement, a trop pris au sérieux un sujet qui n'en avait peut-être pas besoin.

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