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Culture

Langue française : quand dire "vous", quand dire "tu" ?

By Etienne Bennequin
06/08/2014

C’est une subtilité qu’il faut savoir maîtriser. En France, l’utilisation du vouvoiement ou du tutoiement situe immédiatement votre relation avec votre interlocuteur selon de nombreux codes sociaux, souvent intuitifs, parfois inégalitaires. Choisir entre le « tu » et le « vous » est l’une des premières étapes lors d’une nouvelle rencontre, avant même de connaître la personne, sa personnalité, son état d’esprit et son point de vue sur la chose.

Bien entendu, il existe des échappatoires, mais seulement temporaires. Vous pouvez envisager de tordre vos phrases de manière à éviter toute utilisation de pronoms, ou d’inclure systématiquement votre interlocuteur dans un groupe – et ainsi ce sera toujours « vous ». Mais cette démarche peut très vite devenir maladroite, vos hésitations seront remarquées et vous passerez pour un tocard. Vous pouvez aussi, si vous êtes Anglais et ne maîtrisez pas forcément bien la langue de Molière, utiliser le « tu » à toutes les sauces, même lorsque que vous vous adressez à plusieurs personnes. Votre ignorance associée au charmant accent british sera souvent excusée, même parfois appréciée, mais vous pourrez susciter l’agacement chez les Français les plus stricts – et ils en exitent.

Non, le mieux est bien d’apprendre comment cela s'applique. Cette infographie du Los Angeles Times vous donnera les règles de base de comment s’adresser à une personne que vous venez juste de rencontrer, via une suite de questions simples auxquelles répondre par oui ou par non. Néanmoins, quelques subtilités sont à saisir. Déjà, si vous tutoyez votre professeur alors qu’il vous vouvoie, quel que soit son âge et le vôtre, vous paraîtrez irrespectueux et condescendant. Ensuite, tutoyez votre patron parce qu’il vous a énervé et vous pourrez dire adieu à tout espoir de promotion. Enfin, contrairement à l’idée reçue dans ce graphe, ceux qu’on appelle en France les « soixante-huitards » qui réclamaient « une réforme gouvernemental et l’amour libre » en opposition au pouvoir patriarcal réactionnaire peuvent être répartis – à peu près, ne généralisons pas – en deux catégories : l’une est effectivement adepte du tutoiement systématique, mais l’autre y est farouchement opposée et vous rappellera à l’ordre en cas d’erreur. Pour les distinguer, c’est assez simple. Si le soixantenaire en face de vous a) fume un joint le samedi soir ou b) se déplace à vélo ou c) a une page Facebook, alors vous vous tutoierez – Renaud donne une description un peu datée de ce groupe-là dans sa chanson Les Bobos.

Exemple n°1 : Votre ancien patron vous ajoute sur Facebook. Il est en RayBan-claquettes sur sa photo de profil. Il vous envoie un message : « Tu vas bien ? »
Votre réponse ? (réponses en fin d'article)

Ne nous y trompons pas, le vouvoiement n’est pas qu’un outil de langage, c’est une danse sociale dont les règles varient au cours du morceau. Le meneur peut changer, il peut-même ne plus y en avoir, brièvement ou définitivement. Et la musique se termine lorsque les deux danseurs se tutoient. Explications. Lorsque vous rencontrez quelqu’un, il y a deux cas de figure possibles. Vous pouvez parler d’égal à égal, si c’est un ami d’ami par exemple. Et alors, tant que cette relation restera égalitaire, le passage au tutoiement pourra se faire naturellement, d’initiative individuelle ou commune : la danse n’admet pas de meneur. Il est aussi possible que l’un d’entre vous ait une position dominante sur l’autre, dans une hiérarchie convenue – qui peut être celle de l’entreprise, celle de l’enseignement, celle de l’âge, ou n’importe quelle hiérarchie en vigueur dans le milieu social où se situe la rencontre. Il sera alors le meneur tant que sa position dominante durera, pourra à sa guise tutoyer ou vouvoyer l’autre danseur dont il décidera également des mouvements : il relève l’initiative du meneur de prononcer la phrase « On peut se tutoyer. » qui met fin à la danse.

Exemple n°2 : Après trois ans de mariage, votre beau-père vous propose enfin de se tutoyer.
Votre réponse ?

Ainsi, il ne faut pas se formaliser : s’il peut être légitime de voir le concept de vouvoiement, en particulier lorsqu’il n’est appliqué que dans un sens, comme un outil de distinction de classe utilisé par un pouvoir patriarcal, ce serait faire erreur que d’imaginer que le tutoiement est un manque de respect ou que le vouvoiement est un refus d’amitié. Ce sont avant tout des codes sociaux : une relation identique entre deux mêmes personnes variera en ce point en fonction des codes en vigueur. Un exemple simple : si un jeune homme rentre dans un restaurant et commande un repas, le gérant le vouvoiera ; si ce même jeune homme rentre dans ce même restaurant et souhaite candidater pour un job de serveur, alors le gérant le tutoiera dans l’immense majorité des cas. De même, les codes sur Internet étant différents, les internautes auront tendance à se tutoyer directement, alors qu’ils se vouvoieraient sans doute s’ils se rencontraient physiquement. Il ne s’agit pas d’un manque de respect dû à l’anonymat, mais de codes sociaux différents sur Internet. En fait, la distinction T-V situe effectivement une relation entre deux personnes, mais plutôt dans un milieu donné que de manière absolue. Le fait de vouvoyer un professeur qui vous tutoie ne signifie pas que vous lui devez un respect qu’il ne vous doit pas, mais simplement que dans le contexte de la salle de classe, il est celui qui transmet le savoir et est donc dans une position dominante.

Exemple n°3 : Rentrée scolaire. Votre mère est votre nouveau professeur.
Votre réponse ?

Pour tout cela, le choix entre tutoiement et vouvoiement qui intrigue tant les anglophones n’est pas si éloigné d’une autre distinction existant dans la langue anglaise aussi bien que française : l’appellation par le prénom ou par le nom de famille. Ainsi, le professeur, qu’il soit anglais ou français, sera appelé par son titre - Mrs ou Mme, Mr ou M., Miss ou ... Mme aussi, le terme « mademoiselle » n’est plus reconnu par l’administration française – et son nom de famille, tandis qu’il appellera ses élèves par leur prénom, et ce qu’il les vouvoie ou les tutoie. Il y a peut-être plus de subtilités dans le vouvoiement, plus de distinctions de cas, mais l’esprit est le même : ce sont des codes sociaux qui définissent la manière de s’adresser à un autre individu.

  • T’es bien gentil mon jeune ami, mais quand est-ce que je dis « vous », moi ?

Maintenant, déjà, parce qu’on a pas élevé les cochons ensemble, merci. Cependant, je ne peux pas en toute bonne conscience vous donnez une infographie détaillant chaque cas et l’attitude à adopter, parce que ce serait trop long et beaucoup trop imprécis. Pour être sûr de ne pas faire d’erreur, voici ce que je vous propose :

  • Dans les moments en famille ou entre amis, tutoyez tout le monde (sauf s'ils se vouvoient tous entre eux).
  • Au travail, voyez un peu quelle est l’ambiance. Observez ceux qui sont à votre niveau hiérarchique, et tutoyez ceux qu’ils tutoient, vouvoyez ceux qu’ils vouvoient. Quand vous serez un peu plus installé dans l’entreprise et à l’aise avec la distinction Tu-Vous, vous prendrez des initiatives.
  • En dehors de ces cadres là, vouvoyez les inconnus, même ceux qui treavaillent pour vous, dans un restaurant par exemple. Vous pouvez tutoyer les enfants, sauf, effectivement, si l’enfant est « un prince ou quelque chose comme ça ».
  • Réponses aux cas concrets :
  1. « Salut vieille branche ! Ca va et toi ? » - Notez que le « vieille branche » n’est pas absolument nécessaire. Mieux vaut être sûr de votre coup avant ça.
  2. Acquiescez avec plaisir et tutoyez-le. La réponse : « Je suis flatté, mais non. On peut toujours rester amis si vous voulez. » n’est absolument pas envisageable.
  3. Changez de classe, quittez l’établissement, fuyez le pays. Cette situation est la pire du monde et n’admet pas de solution.

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